BORN GLOBAL


BORN GLOBAL
Ces nouveaux chefs d’entreprises donnent le tempo et définissent les réflexes de l’internationalisation.
Le monde est leur terrain de jeu. Les entrepreneurs des high-techs », des biotechs, ont été des précurseurs ; pour eux plus de frontières. Depuis 10 ans les entrepreneurs Internet  montrent la voie à leurs ainés et ils bousculent les préjugés selon lesquels il faut avoir obtenu la reconnaissance du marché local avant de mettre cap au large.
Cette attitude est comparable à une rupture technologique tant le réflexe de mondialisation leur est inné. Pour eux, pas question de rester à l’étroit sur le marché français « l’Europe est au minimum notre jardin intérieur «  dixit André Ulmann.
En effet il est sans doute moins couteux de réussir sur un marché émergent que sur un marché mature.
Pour mieux comprendre les caractéristiques et les tendances Ernst & Young a mené une étude au plan mondial auprès de 300 d’entre eux. L’étude a montré que la croissance de ces entreprises affiche + 72% et a contribué pour 50% à l’amélioration de leur profitabilité.
Ces entrepreneurs intègrent dès leur création les contraintes et les opportunités de la globalisation de l’économie et de l’accélération des échanges.
 Et si la libéralisation du commerce international, les facilités de communication, la dématérialisation des échanges, en quoi d’autres données individuelles favorisent elles cette croissance ?
Plusieurs axes de réponse :
                Pragmatisme entre l’équilibre local et global ?
                Internationalisation du management ?
                Diversité des cultures et des marchés ?
    Pratique de l ‘interculturel ?
Jacqueline Fendt (Chaire entrepreneuriat de Ernst & Young), souligne que l’international commence avec l’apprentissage des langues (et de la culture NDLR) ; en matière de conception du business, dit -elle, on note de grandes différences dans nos rapports à la richesse  d’une part, à la réussite d’autre part ; ici échec signifie faillite et renoncement, là-bas il fait partie du processus d’essais.
La bas il faut savoir se battre, et développer son gout au risque.
Ce regard est souligné par Jason Pontin rédacteur en chef de la technologie review du MIT : « la France est un acteur important de l’innovation dans des domaines comme la pharmacie, les transports, le design, les télécommunications…et bon nombre de diplômés quittent la France pour réussir. Un des maux principaux est la peur de la faillite.
Encore un peu d’effort, à la vitesse et à l’agilité, je suggère qu’ils osent.
Lu pour vous In l’art du management


Les femmes sont elles meilleures que les hommes?


Une femme est-elle un homme comme les autres ? 1 ère question
Les femmes sont-elles meilleures que les hommes ? 2eme question 
La véritable question est bien celle de savoir
 quelles compétences les femmes mettent au service de l’entreprise ?
et dans quelle mesure ces compétences permettent-elles de mieux travailler ou d’être plus efficace ?
Le premier constat qui peut être dressé ; lors de la crise de 2008, BNP Paribas est la banque qui a le mieux résisté, Dexia celle qui a le plus souffert.
BNP compte 44% de femmes parmi ses cadres, Dexia en compte 22%. Rosabeth Moss Kanter s’interroge en 2008 : la faillite de Lehman brothers se serait-elle produite si elle s’était appelée Lehman sisters ?

L’étude Women Matter conduite par Mc Kinsey utilise un sous titre éloquent :      " la mixité comme levier de performance ". Le cabinet a passé au crible 100 grandes entreprises réparties sur les 5 continents, et constaté que selon 9 critères (leadership, compétences, motivation, innovation etc..) là où les femmes occupent davantage de fonctions de direction, les scores sont plus élevés. La corrélation entre excellence organisationnelle et présence féminine est frappante, les résultats d’exploitation sont de 40% supérieurs.
Au delà de la justification d’ordre moral qui consiste à lutter contre les inégalités entre les sexes, cette justification est aussi clairement économique.
Les DRH aujourd’hui défendent des valeurs de concertation de négociation et d’écoute, autant de compétences que l’ont prêtent plutôt aux femmes car il est bien plus efficace de faire adhérer les équipes aux projets que de leur imposer (même si c’est plus rapide NDLR).
Celles qui accèdent à des responsabilités sont souvent nommées au social, à la communication, au développement durable, et très peu à la stratégie et aux finances, or le plus urgent est d’en finir avec les idées reçues pour instaurer une vraie situation égalitaire.

            EFFICACITE/ »LE MULTITACHE EST NATUREL POUR MOI »
Les femmes sont naturellement multitâches, cette intuition vient de trouver une confirmation scientifique cf. les chercheurs de l’université de Hertfordshire en Angleterre : sur les tests les femmes obtiennent de bien meilleurs résultats que les hommes.
De surcroit elles portent une grande attention aux détails, elles sont capables de passer du général au particulier et inversement alors que les hommes restent au niveau global d’analyse.
Elles doivent cependant exercer leur vigilance sur l’excès de méticulosité.
La gestion du temps est une autre ligne de partage, les femmes abattent leur travail plus vite que les hommes et sont  obnubilées par le résultat ; elles ne connaissent pas la procrastination (j’ai besoin de mon temps en dehors du bureau) et la clé relative à ce choix : se fixer des échéances et s’y tenir.

 GOUT DU RISQUE /AVANTAGE AUX HOMMES
Les femmes, prises dans leur planification, ont quelques difficultés à gérer les imprévus, elles mesurent (un peu trop ?) les risques avant de démarrer. Cependant si les hommes prennent des risques les femmes savent prendre des décisions –ce qui révèle une compétence différente.
En revanche elles prennent davantage le risque de dire ce qu’elles pensent, sans calcul « politique », elles dévoilent leurs opinions.

 PERCEPTION DES EMOTIONS D’AUTRUI/AVANTAGE AUX FEMMES
L’aisance émotionnelle donne aux femmes un surcroit de finesse psychologique, une expérience de l’université de Montréal, en 2009, a démontré que la gent féminine est plus apte à percevoir les émotions d’autrui, car les femmes décryptent le message d’un interlocuteur en analysant autant son contenu que la manière dont il est transmis.
Les femmes ont davantage à cœur de laisser d’exprimer tous les points de vue sur une question avant de prendre une décision. C’est une conséquence de leur capacité d’écoute, capacité à intégrer les non dits, et à mettre leur interlocuteur en confiance.
Les femmes ont un grand talent pour faire parler autrui, elles n’imposent rien ; elles sont simplement dans l’échange, dans le mesure où elles sont à l’aise avec leurs émotions, elles permettent de laisser libre cour à ce qu’il ressent.  De ce fait elles gagnent en légitimité et créent plus facilement le consensus autour d’elles.
Dans la gestion des conflits elles savent qu’il est important de réagir dans l’instant plutôt que de laisser la situation s’envenimer.
L’autorité hiérarchique est plus agréable à vivre car elles font passer des messages avec plus de finesse.

CAPACITE A SE VENDRE/ AVANTAGE AUX HOMMES
Les femmes se montrent plus réservées que les hommes pour venter leurs méritent ; cette discrétion freine leur ascension.
« Je n’ai rien sollicité, j’ai rarement demandé une augmentation, car j’estimais que cela allait de soi », disent-elles.

CREATIVITE/ AVANTAGE GROUPES MIXTES
Pour les femmes une idée ne vaut que si elle prend forme ; on conçoit aujourd’hui les groupes de réflexion avec les femmes, elles seront plus aptes à envisager un projet ou une idée sous un angle pratique.
L’intérêt pour la réflexion à long terme porte l’avantage aux hommes car les femmes sont plus intéressées par la mise en œuvre des moyens qui permettent d’atteindre un but que par la définition du but lui-même.
Un groupe mixte de création se révèle deux fois plus créatif qu’un groupe unisexe.
 En conclusion : AVANTAGE A LA MIXITE


Bibliographie : Loi Coppé-Zimmerman de janvier 2011 impose un minimum de 20% dans les conseils d’administration d’ici à 2014 et 40% à 2017.
Alice aux pays de l’entreprise Laurence Dejouany
Petit traité du sexisme ordinaire : Brigitte Grécy
Le sexe du cerveau Jean Albert Meynard

Lu pour vous in revue du management de septembre 2011

article du jour n°2


Mon imagination est encore active, cependant plutôt que de vous livrer de la paraphrase – discutable- par construction, j’ai sélectionné quelques passages de cet excellent ouvrage que je viens de re déguster
Il s’agit de « MIEUX VIVRE  En maitrisant votre énergie psychique     Mihaly CSikszentmihalyi »

Quelques citations qui me parlent :
«  Les êtres humains se sentent mieux lorsqu’ils s’appliquent à relever un défi, résoudre un problème, ou découvrir quelque chose de nouveau.
La plupart des activités qui génèrent un flux se définissent par
 Un but clair,  Des règles précises et  Une rétro action immédiate…. (Y compris les loisirs)
Alors que la simple liberté, quand rien ne sollicite l’attention (et quand on ne s’est pas positionné soi-même en tension NDLR), provoque le contraire d’une expérience optimale ; l’entropie psychique qui procure un sentiment d’indifférence et d’apathie.
 Cependant chacune des activités productrices de flux nécessite un investissement de départ ; il faut commencer par s’échauffer avant de goûter au plaisir d’une activité complexe.
  Si nous ne prenons pas notre vie en main, des forces inconscientes ou extérieures la contrôleront pour la mettre au service de leur propre intérêt…..la société, les autres, feront en sorte que notre vie contribue à propager leurs valeurs, et leurs institutions »
Alors je ne résiste pas à poser cette question :
Qu’est-ce qui rend ma vie utile et digne d’être vécue ?
Et la proposition de réponse de MCS
«  La qualité de notre vie,  ce que nous faisons et la manière dont nous le vivons est déterminée par nos pensées et nos émotions, par l’interprétation que nous faisons de ces processus chimiques, biologiques et sociaux… »
 Comment chaque individu peut-il se créer la meilleure vie possible ?
« chacun dispose d’une volonté propre et peut décider soit de gaspiller ses chances soit de surmonter des obstacles dus à sa naissance.
Production, entretien, loisirs, absorbent toute notre énergie psychique. Ils nous fournissent l’information qu’emmagasine notre esprit jour après jour, de notre naissance  notre dernière heure. Ainsi notre vie consiste en expériences liées au travail, à la conservation de nos biens, et à l’emploi de notre temps libre. Dans ce cadre se déroule notre vie et c’est le choix de nos activités et la façon de les aborder qui déterminent si la somme de nos jours ressemble à une masse informe ou à une œuvre d’art. »
En résumé et je milite pleinement pour cette perception des évènements
    «   La qualité de vie de dépend pas du « bonheur » mais de ce que l’on fait pour être heureux »
    «   ce ne sont pas les conditions extérieures qui comptent le plus c’est ce que nous en faisons »
 En terme de processus
   «  Si on ne se propose pas d’objectifs, si on ne sert pas pleinement de ses capacités intellectuelles on ne connaîtra que des satisfactions inférieures
Sans rêves, sans risques l’ennui nous guette »
De manière pragmatique
« Se concentrer sur son état intérieur : plus la tache requiert d’attention et de concentration, plus elle ressemble à une expérience flux.
La première chose à faire pour améliorer sa vie quotidienne est de s’inventer des activités vécues  de manière gratifiante »  et « tenir un journal pour s’interroger chaque soir sur le contenu de la journée »
Pour bien vivre, il ne suffit pas « d’être heureux » ; l’important est de faire des choses qui nous obligent à nous dépasser, à évoluer, à exprimer pleinement notre potentiel.  Il nous appartient de surmonter les obstacles »
«  Les caractéristique des individus autotéliques (auto = soi même, et  télos=but) :
1/ils sont plus attentifs à ce qui se passe, remarquent plus de détails, et s’intéressent à qqchose sans attendre de récompense immédiate (alors que nous avons tendance à économiser notre attention).
2/ ils sont moins préoccupés d’eux même et investissent de l’énergie dans leur rapport avec la vie, s’intéresser à ce genre de « trucs » qui permet d’apprendre
Nous constatons alors la présence d’une boucle de causalité et de renforcement mutuel
Il est toujours plus difficile d’agir en fonction de principes d’organisation nouveaux, et cela nécessite plus d’efforts, plus d’énergie ; s’y employer est ce qu’on appelle la vertu.
Notre vie imprime sa marque à l’univers et  notre être restera à jamais imbriqué dans la chaîne et la trame de ce qui est.
Agir dans le flux contribue à la construction d’un pont vers l’avenir car chacun de nous est responsable du point particulier de l’espace-temps où  son corps et son esprit sont en lien avec le réseau global de l’existence, nous devons opérer des choix qui détermineront la forme future du réseau »
Résumé : et en plus on s’amuse…
J’espère vivement que vous aurez apprécié : bonne lecture de cet ouvrage

article du jour n°1

Petite Poucette, la génération mutante
 
Connaissez vous Michel Serres ? A plus de 80 ans ce philosophe, qui enseigne toujours aux Etats Unis, prend la défense des jeunes, souvent vilipendés par leurs aînés, et réclame pour eux l'indulgence, obligés qu'ils sont de tout réinventer dans une société bouleversée par les nouvelles technologies. Un entretien rafraîchissant paru dans Libération, sous la plume de Pascale Nivelle.

Petite Poucette, la génération mutante
Michel Serres, diplômé de l’Ecole navale et de Normale Sup, a visité le monde avant de l’expliquer à des générations d’étudiants. Historien des sciences et agrégé de philosophie, ancien compagnon de Michel Foucault, avec qui il a créé le Centre universitaire expérimental de Vincennes en 1968, il a suivi René Girard aux Etats-Unis, où il enseigne toujours, à plus de 80 ans. Ce prof baroudeur, académicien pas tout à fait comme les autres, scrute les transformations du monde et des hommes de son œil bleu et bienveillant. Son sujet de prédilection : la jeune génération, qui grandit dans un monde bouleversé, en proie à des changements comparables à ceux de la fin de l’Antiquité. La planète change, ils changent aussi, ont tout à réinventer. «Soyons indulgents avec eux, ce sont des mutants», implore Michel Serres, par ailleurs sévère sur sa génération et la suivante, qui laisseront les sociétés occidentales en friche. Entretien.

Vous annoncez qu’un «nouvel humain» est né. Qui est-il ?
Je le baptise Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce. C’est l’écolier, l’étudiante d’aujourd’hui, qui vivent un tsunami tant le monde change autour d’eux. Nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance.

Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux grandes révolutions : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé. La troisième est le passage de l’imprimé aux nouvelles technologies, tout aussi majeure. Chacune de ces révolutions s’est accompagnée de mutations politiques et sociales : lors du passage de l’oral à l’écrit s’est inventée la pédagogie, par exemple. Ce sont des périodes de crise aussi, comme celle que nous vivons aujourd’hui. La finance, la politique, l’école, l’Eglise… Citez-moi un domaine qui ne soit pas en crise ! Il n’y en a pas. Et tout repose sur la tête de Petite Poucette, car les institutions, complètement dépassées, ne suivent plus. Elle doit s’adapter à toute allure, beaucoup plus vite que ses parents et ses grands-parents. C’est une métamorphose !

Cette mutation, quand a-t-elle commencé ?
Pour moi, le grand tournant se situe dans les années 1965-1975, avec la coupure paysanne, quand la nature, notre mère, est devenue notre fille. En 1900, 70% de la population française travaillait la terre, ils ne sont plus que 1% aujourd’hui. L’espace vital a changé, et avec lui «l’être au monde», que les philosophes allemands comme Heidegger pensaient immuable. La campagne, lieu de dur travail, est devenue un lieu de vacances. Petite Poucette ne connaît que la nature arcadienne, c’est pour elle un terrain de loisirs et de tourisme dont elle doit se préoccuper. L’avenir de la planète, de l’environnement, du réchauffement climatique… tout est bousculé, menacé.

Prenons l’exemple du langage, toujours révélateur de la culture : il n’y a pas si longtemps, un candidat au concours de l’Ecole normale était interrogé sur un texte du XIXe siècle qui parlait de moissons et de labourage. Le malheureux ignorait tout le vocabulaire ! Nous ne pouvions pas le sanctionner, c’était un Petit Poucet qui ne connaissait que la ville. Mais ce n’est pas pour ça qu’il était moins bon que ceux des générations précédentes. Nous avons dû nous questionner sur ce qu’étaient le savoir et la transmission.

C’est la grande question, pour les parents et les enseignants : que transmettre entre générations ?
Déjà, Petit Poucet et Petite Poucette ne parlent plus ma langue. La leur est plus riche, je le constate à l’Académie française où, depuis Richelieu, on publie à peu près tous les quarante ans le dictionnaire de la langue française. Au siècle précédent, la différence entre deux éditions s’établissait à 4 000 ou 5 000 mots. Entre la plus récente et la prochaine, elle sera d’environ 30 000 mots. A ce rythme, nos successeurs seront très vite aussi loin de nous que nous le sommes du vieux français !

Cela vaut pour tous les domaines. A la génération précédente, un professeur de sciences à la Sorbonne transmettait presque 70% de ce qu’il avait appris sur les mêmes bancs vingt ou trente ans plus tôt. Elèves et enseignants vivaient dans le même monde. Aujourd’hui, 80% de ce qu’a appris ce professeur est obsolète. Et même pour les 20% qui restent, le professeur n’est plus indispensable, car on peut tout savoir sans sortir de chez soi ! Pour ma part, je trouve cela miraculeux. Quand j’ai un vers latin dans la tête, je tape quelques mots et tout arrive : le poème, l’Enéide, le livre IV… Imaginez le temps qu’il faudrait pour retrouver tout cela dans les livres ! Je ne mets plus les pieds en bibliothèque. L’université vit une crise terrible, car le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. Et donc les relations entre élèves et enseignants ont changé. Mais personnellement, cela ne m’inquiète pas. Car j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soi. C’est le seul conseil que je suis en mesure de donner à mes successeurs et même aux parents : soyez vous-mêmes ! Mais ce n’est pas facile d’être soi-même.

Vous dites que les institutions sont désuètes ?
Souvenez-vous de Domenech qui a échoué lamentablement à entraîner l’équipe de France pour le Mondial de foot. Il ne faut pas lui en vouloir. Il n’y a plus un prof, plus un chef de parti, plus un pape qui sache faire une équipe ! Domenech est en avance sur son temps ! Il faudrait de profondes réformes dans toutes les institutions, mais le problème, c’est que ceux qui les diligentent traînent encore dans la transition, formés par des modèles depuis longtemps évanouis.

Un exemple : on a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet ! Ces grandes tours sur la Seine me font penser à l’observatoire qu’avaient fait construire les maharajahs à côté de Delhi, alors que Galilée, exactement à la même époque, mettait au point la lunette astronomique. Aujourd’hui, il n’y a que des singes dans l’observatoire indien. Un jour, il n’y aura plus que des singes à la Grande Bibliothèque. Quant à la politique, c’est un grand chantier : il n’y a plus de partis, sinon des machines à faire élire des présidents, et même plus d’idéaux. Au XIXe siècle, on a inventé 1 000 systèmes politiques, des marxistes aux utopistes. Et puis plus rien, c’est bizarre non ? Il est vrai que ces systèmes ont engendré 150 millions de morts, entre le communisme, la Shoah et la bombe atomique, chose que Petite Poucette ne connaîtra pas, et tant mieux pour elle. Je pense profondément que le monde d’aujourd’hui, pour nous, Occidentaux, est meilleur. Mais la politique, on le voit, n’offre plus aucune réponse, elle est fermée pour cause d’inventaire. Ceci dit, moi non plus, je n’ai pas de réponses. Si je les avais, je serais un grand philosophe.

La seule façon d’aborder les conséquences de tous ces changements, c’est de suspendre son jugement. Les idéalistes voient un progrès, les grognons, une catastrophe. Pour moi, ce n’est ni bien ni mal, ni un progrès ni une catastrophe, c’est la réalité et il faut faire avec. Mais nous, adultes, sommes responsables de l’être nouveau dont je parle, et si je devais le faire, le portrait que je tracerais des adultes ne serait pas flatteur. Petite Poucette, il faut lui accorder beaucoup de bienveillance, car elle entre dans l’ère de l’individu, seul au monde. Pour moi, la solitude est la photographie du monde moderne, pourtant surpeuplé.

Les appartenances culturelles n’ont-elles pas pris de l’importance ?
Pendant des siècles, nous avons vécu d’appartenances, et c’est ce qui a provoqué bien des catastrophes. Nous étions gascons ou picards, catholiques ou juifs, riches ou pauvres, hommes ou femmes. Nous appartenions à une paroisse, une patrie, un sexe… En France, tous ces collectifs ont explosé, même si on voit apparaître des appartenances de quartier, des communautés autour du sport. Mais cela ne constitue pas les gens. Je suis fan de rugby et j’adore mon club d’Agen, mais cela reste du folklore, l’occasion de boire de bons coups avec de vrais amis… Quant aux intégrismes, religieux ou nationalistes, je les apparente aux dinosaures. Ma Petite Poucette a des amis musulmans, sud-américains, chinois, elle les fréquente en classe et sur Facebook, chez elle, partout dans le vaste monde. Pendant combien de temps lui fera-t-on encore chanter «qu’un sang impur abreuve nos sillons» ?

Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent de voir évoluer les jeunes dans l’univers virtuel des nouvelles technologies ?
Sur ce plan, Petite Poucette n’a rien à inventer, le virtuel est vieux comme le monde ! Ulysse et Don Quichotte étaient virtuels. Madame Bovary faisait l’amour virtuellement, et beaucoup mieux peut-être que la majorité de ses contemporains. Les nouvelles technologies ont accéléré le virtuel mais ne l’ont en aucun cas créé. La vraie nouveauté, c’est l’accès universel aux personnes avec Facebook, aux lieux avec le GPS et Google Earth, aux savoirs avec Wikipédia. Rendez-vous compte que la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, quel progrès immense ! Nous habitons un nouvel espace… La Nouvelle-Zélande est ici, dans mon iPhone ! J’en suis encore tout ébloui !

Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement.

L’espace, le travail, le savoir, la culture ont changé. Et le corps ?
Petite Poucette n’aura pas faim, pas soif, pas froid, sans doute jamais mal, ni même peur de la guerre sous nos latitudes. Et elle vivra cent ans. Comment peut-elle ressembler à ses ancêtres ? Ma génération a été formée pour la souffrance. La morale judéo-chrétienne, qu’on qualifie à tort de doloriste, nous préparait tout simplement à supporter la douleur, qui était inévitable et quotidienne. C’était ainsi depuis Epicure et les Stoïciens.

Savez-vous que Louis XIV, un homme pas ordinaire, a hurlé de douleur tous les jours de sa vie ? Il souffrait d’une fistule anale, qui n’a été opérée qu’au bout de trente ans. Son chirurgien s’est entraîné sur plus de 100 paysans avant… Aujourd’hui, c’est un coup de bistouri et huit jours d’antibiotiques. Je suis le dernier client de mon dentiste qui refuse les anesthésies, il n’en revient pas ! Ne plus souffrir, c’est un changement extraordinaire. Et puis, on est beaucoup plus beau aujourd’hui. Quand j’étais petit, les paysans étaient tous édentés à 50 ans ! Et pourquoi croyez-vous que nos aïeux faisaient l’amour habillés, dans le noir ? La morale, le puritanisme ? Rigolade ! Ils étaient horribles, tout simplement. Les corps couverts de pustules, de cicatrices, de boutons, ça ne pouvait pas faire envie. La fraise, cette collerette que portaient les nobles, servait à cacher les glandes qui éclataient à cause de la petite vérole ! Petite Poucette est jolie, elle peut se mettre toute nue, et son copain aussi. Quand on la prend en photo, elle dit «cheese», alors que ses arrière-grands-mères murmuraient «petite pomme d’api» pour cacher leurs dents gâtées.

Ce sont des anecdotes révélatrices. Car c’était au nom de la pudeur, et donc de la religion et de la morale, qu’on se cachait. Tout cela n’a plus cours. Je crois aussi que le fait d’être «choisi» lorsqu’on naît, à cause de la contraception, de l’avortement, est capital dans ce nouvel état du corps. Nous naissions à l’aveuglette et dans la douleur, eux sont attendus et entourés de mille soins. Cela ne produit pas les mêmes adultes.

L’individu nouveau a une très longue vie devant lui, cela change aussi la façon d’appréhender l’existence…
Une longue vie devant et aussi derrière lui. L’homme le plus cultivé du monde des générations précédentes, l’uomo di cultura, avait 10 000 ans de culture, plus un peu de préhistoire. Petite Poucette a derrière elle 15 milliards d’années, du big bang à l’homo sapiens, le Grand Récit n’est plus le même ! Et on est entrés dans l’ère de l’anthropocène et de l’hominescence, l’homme étant devenu l’acteur majeur du climat, des grands cycles de la nature. Savez-vous que la communauté humaine, aujourd’hui, produit autant de déchets que la Terre émet de sédiments par érosion naturelle. C’est vertigineux, non ? Je suis étonné que les philosophes d’aujourd’hui, surtout préoccupés par l’actualité et la politique, ne s’intéressent pas à ce bilan global. C’est pourtant le grand défi de l’Occident, s’adapter au monde qu’il a créé. Un beau sujet philosophique.



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