une démocratie corruptible


Une démocratie corruptible de Pierre Lascoumes
   Arrangements, favoritisme et conflits d’intérêts

Des scandales politico-financiers défraient régulièrement la chronique. Malgré leur réputation de légalisme, les élites françaises ont des difficultés à faire face à ces situations : cumuls de mandats, financement de la vie politique, conflits d’intérêts etc.
Parallèlement à cela, les citoyens font preuve d’ambivalence ; ils utilisent de nombreuses justifications pour excuser des comportements déviants de leurs élus locaux. Dès lors, tout se passe comme si la corruption était perçue à la fois comme un scandale et comme une fatalité.
Alors s’interroge l’auteur, pourquoi corruption, et démocratie font-elles bon ménage ?
Pourquoi, en conséquence, les citoyens continuent-ils d’accorder leur confiance à des acteurs politiques condamnés pour abus de fonction ?
Pierre Lascoumes est directeur de recherches au CNRS, et travaille au centre d’études de Science PO
Avec rigueur Pierre Lascoumes explore la zone grise de notre démocratie et donne des clés pour comprendre la défiance des citoyens vis à vis des institutions.
La zone grise de la démocratie
La culture civique française se caractérise par un écart entre d’une part de fortes références au légalisme et à la moralité publique et d’autre part une large tolérance à l’égard du favoritisme et à la recherche d’avantages individuels. C’est donc l’ambigüité qui prévaut.
On constate que la distorsion des règles d’impartialité, les ruptures d’égalité entre les citoyens et la distribution de passe-droits sont souvent acceptés voire justifiés.
 Du petit favoritisme, de l’enrichissement indu, du financement politique illégal au trafic d’influence, il est important de comprendre ce qui qualifie, ou pas, une transgression politique.
Nous pouvons envisager la corruption comme un phénomène « normal » au sens durkheimien (comme une transgression prévisible et non comme une pathologie sociale) ; exercer le pouvoir est aussi aménager des principes au nom de l’égalité, du pragmatisme, entretenir des alliances, collecter des ressources répondre à des clientèles. Les édiles politiques interagissent, recherchent des appuis. Les citoyens recherchent des passe-droits et, ce faisant, les besoins des uns et des autres alimentent le système
Trois définitions de la corruption
1/ la première définition parle d’une conception centrée sur l’abus d’une fonction publique : la rupture, par un agent, de règles de conduite des affaires publiques en vue de la satisfaction d’un intérêt financier privé ou dans un but politique ; ce sont des abus de la confiance collective car ils visent à obtenir un gain direct ou indirect. On se démarque du moralisme, distinction entre des actes transgressifs, et avec des façons atypiques d’exercer les responsabilités publiques.
2/ la deuxième est centrée sur la notion d’intérêt général : donc se situent à l’encontre de pratiques qui sont contraires aux principes démocratiques. Le  système de patronage,  et le clientélisme sont visés car cela conduit à l’allocation discrétionnaire des ressources. On est ici au voisinage de la notion de corruption avec le lobbying,  et le pantouflage des hauts fonctionnaires
3/  la troisième définition est basée sur un modèle économique, en terme de transactions entre acteurs publics et acteurs privés, créant des obligations réciproques,
Remarque : on peut aussi ajouter le mensonge politique
La transgression à la française : consensus et dissensus
Consensus : des pratiques bénéficient de tolérance ou d’une très faible réprobation, car ce sont des déviances qui témoignent d’une rupture d’égalité entre citoyens voire de non respect d’une procédure. Cette zone blanche s’organise autour  de deux dimensions : les rapports de proximité avec les élus, et le déni des conflits d’intérêt
Dissensus : ambigüité dans la définition de la corruption : la zone grise
                La première dimension relève du clientélisme : relations d’échange peu explicites entre un acteur  et des électeurs potentiels
                La deuxième dimension est constituée lorsque la confusion porte sur le but poursuivi (pour obtenir la construction d’un tramway, une entreprise offre la rénovation du stade)
La troisième dimension concerne le détournement d’un salarié par une entreprise concurrente.
Sous forme de conclusion (toujours provisoire, car tel est le lot des conclusions selon moi), l’auteur souligne que les contradictions entre intérêts individuels, intérêts collectifs, et intérêt général constituent une problématique inhérente à chaque société organisée.
C’est en cela que notre démocratie est corruptible, et que la corruption peut être considérée comme un phénomène normal au sens de Durkheim. Les atteintes à la probité sont d’autant plus endémiques qu’elles sont tues voire cachées. Cela nourrit une vaste zone grise où prospèrent des comportements en marge du civisme et de la légalité, et de surcroit  génèrent du désenchantement citoyen. Aucune recette économique ou politique n’a été dégagée pour y remédier.
La seule façon de les restreindre est de les mettre en visibilité, dans quelle mesure est-ce possible ?
La question de la corruption est toujours à penser, à reformuler… , « les mains pures » ne sont qu’un affichage, voire une fiction.
Cf. Pierre Lascoumes : Petits arrangements avec la probité PO.2010,  et les sentinelles de l’argent sale
Cf. Emile Durkheim : les règles de la méthode sociologique
Martin Hirsch : pour en finir avec les conflits d’intérêt 2010 sur le net